Le vol d’initiation part 1 (osons !).
Le baptême de l’air en d’autres termes.
Quel moment délicieux !
Vous avez opté pour une expérience unique de vol en cette belle journée d’été.
Mais il en a fallu du courage pour arriver jusque là !
D’abord tous vos proches bien intentionnés vous ont pourtant bien prévenus: « y a pas de moteur, une fois que l’avion t’a lâché et ben tu tombes ! »
Bien que trop bien informé par toutes ces braves âmes, votre curiosité vous a poussé à vous rendre sur place, au bout de la route: à l’aérodrome.
Il a fallu alors trouver quelqu’un autour des hangars pour vous renseigner et vous guider jusqu’en piste puis quelqu’un d’autre pour vous y accueillir et vous expliquer deux ou trois choses sur les modalités d’un éventuel baptême de l’air.
« Ah c’est pour un VI !! »
… car ici ça s’appelle un « Vol d’Initiation ».
Chose curieuse, personne ne se précipite pour vous vendre la chose. Pourtant le tarif est bien là mais les gens sur place, d’un air embarrassé, semblent se refiler la patate chaude.
– « Oui mais quelle machine ? »
– « Mais non c’est le Pierre, il en a marre de faire des Vi et p’is il est avec un PAX »
– « Bon y a bien le Jacques et puis il est déjà avec un VI et il a un élève »
– « En même temps l’élève, il est dans l’treuil »
« Bon ben ce s’ra l’Jacques avec le Bijave ! »
Après avoir réglé par avance le montant de votre vol, vous attendez patiemment votre tour en bord de piste, observant le bal des planeurs au son de la radio qui crachouille des choses incompréhensibles pour votre oreille.
Un premier Biplace se pose dans un doux sifflement modulé par la sortie progressive des aérofreins déchirant le silence de cet immense volume d’air … peut être le vôtre ?
C’est un beau plastique rutilant taillé comme un suppositoire d’un blanc laqué aveuglant aux reflets du soleil.
Il est un peu loin et une vieille voiture de piste part, fumante et bruyante, laissant son hayon entrouvert claquer sous les mouvements basse fréquence de cette caisse usée aux amortisseurs fatigués.
Vous remarquez une corde accrochée proche du pare choc formant une ample boucle remontant vers ce coffre poussiéreux prêt à vomir quelques mystérieux accessoires.
Vous vous décidez à demander timidement un… »Vais-je monter dans celui-ci ? »
– « Non, ce n’est pas le votre ».
– « Il est tout neuf ?! »
– « Oui, c’est celui de l’ANEG ! »
– « Ah ??? ! »
Vous voyant un peu déçu par la réponse, votre interlocuteur vous annonce que votre planeur arrive d’ici 15 minutes tout au plus car il est maintenant en descente et vu l’altitude annoncée, il lui faudra bien ce quart d’heure pour venir se poser.
Encore quelque temps à espérer cette machine que l’on voit sur tous ces élégants flyers publicitaires de la Fédération Française de Vol à Voile.
La radio se remet à hurler quelque-chose toujours en crachouillant. C’est tout autant incompréhensible que les messages précédents. Pourtant on vous a certifié que cela était du Français. Ce message n’est pas s’en vous rappeler votre jeunesse lorsque vous tentiez, en vous égosillant, une conversation dans une vieille Citroën GS, fenêtres ouvertes à 90 km/h sur un périphérique au moment précis où un motard plein gaz vous dépassait.
Une silhouette de planeur se présente au loin dans le circuit de piste et se rapproche lentement. En grand connaisseur de l’aviation depuis votre plus jeune âge, vos yeux croient reconnaître un Wellington. Pourtant aucun bruit d’hélice ne vous parvient.
Voilà l’Bijave annonce un gars en short.
Un premier virage montre la bête sous un autre angle, puis un deuxième virage… L’engin est énorme et se rapproche avec une lenteur surréaliste. Le sifflement aigu qui l’accompagne couvre péniblement l’émission sonore plus grave d’un ruban adhésif pendouillant qui n’est pas sans rappeler celui d’un coussin péteur au bord de l’épuisement.
Perdu dans vos rêveries de planeur plastique, le contraste vous fait violence et ce bruit ridicule sollicite vos zygomatiques. Vous regardez autour de vous, les quelques vélivoles présents au starter semblent blasés et se dirigent d’un pas lent vers cette sorte de vaisseau amiral en fin de roulage. Vidé de toute son énergie, déséquilibré sur sa roue unique, ce vieux navire à deux ponts posé sur son étrave incline son aile mollement jusqu’à toucher le sol.
La verrière du poste supérieur s’ouvre avec douceur, une main sort, puis une autre, enfin une tête émerge et la silhouette d’un homme courbé s’extirpe des entrailles de la bête. Avec, des gestes maîtrisés et une infinie lenteur, un appui à la fois, ce personnage descend de son immense aéronef comme le ferait un paresseux de son arbre.
Enfin au sol, celui-ci ouvre la verrière avant et se penche sur son passager comme pour le délivrer.
« C’est votre planeur !! »
Cette fois, à moins d’une blagounette douteuse, vous voilà face à cette cruelle réalité… ce ne sera pas un planeur ultra moderne en fibre de carbone comme votre planche de surf bariolée.
Sur un arrière goût de Pub mensongère, le menton pendant, vous regardez le petit groupe pousser laborieusement ce bombardier jusqu’au point de départ.
La machine ne semble pas toute jeune. Comme son pilote d’ailleurs.
Vous allez être emmené par ce drôle de Bipède voûté, en short et chemisette affublée de trois auréoles humides disposées judicieusement sous chaque aisselle et dans le bas du dos. Est ce la chaleur ou l’effort physique qui l’ont transformés ainsi ?
D’une voie douce et lente, ce monsieur s’adresse au tenancier de la planche de vol…
« y aurait il un VI à faire ? »
Un VI ? j’suis pas un VI moi !
« Oui, c’est monsieur ! »
« Ah, vous venez faire un vol d’initiation… Approchez, je vais vous emmener ».
Votre premier réflexe est de regarder derrière vous au cas où ce vieux monsieur s’adresserait à une autre personne. Mais aucune ombre derrière vous ! C’est comme chez le dentiste … faut y aller maintenant !